Taux de chômage au Mali : un chiffre vrai, mais trompeur sans le contexte

Une déclaration du ministre malien de l’Économie et des Finances, Alousséni Sanou, largement relayée sur les réseaux sociaux, alimente le débat autour du taux de chômage dans le pays. Le chiffre annoncé par le ministre, 3,5 % suscite scepticisme et incompréhension, tant il semble éloigné de la réalité que vivent de nombreux citoyens. Alors, qu’en est-il vraiment ? Nous avons vérifié.
1. Le Mali applique la définition du Bureau International du Travail (BIT)
Le Mali, membre de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) depuis 1960, applique la définition du chômage établie par le BIT dans ses enquêtes statistiques, notamment l’Enquête Modulaire Permanente auprès des Ménages (EMOP). Pour être officiellement considéré comme chômeur, il faut : ne pas avoir travaillé une seule heure durant la semaine de référence; être disponible pour travailler dans les deux semaines suivantes; avoir cherché activement un emploi au cours des quatre dernières semaines.
Cette norme, utilisée à l’échelle internationale, présente toutefois des limites, particulièrement dans les économies dominées par l’emploi « informel ».
2. Un taux de chômage de 3,5 %, est-ce crédible ? Oui, selon la méthodologie utilisée par l’Insat.
Dans l’émission Mali Kura Taasira de l’Ortm, diffusée le 31 mai 2025, le ministre de l’Économie et des Finances, Alousséni Sanou affirme : « Le taux de chômage au Mali est passé de 6,5% à 3,5 % aujourd’hui. On était à 6,5% en 2020 et nous sommes tombés à 3,5 pour dire que le taux de chômage est à la baisse.»
Les données 2024 de l’INSTAT font état d’un taux de chômage de 2,4 %, légèrement inférieur au chiffre mentionné par le ministre. Ce faible taux reflète bien la stricte méthodologie du BIT. Dans un contexte où nombre de Maliens occupent des emplois précaires ou informels pour survivre, beaucoup ne remplissent pas les critères pour être considérés comme chômeurs.
3. Ce chiffre reflète-t-il la réalité du marché du travail malien ? Non, pas entièrement.
La définition du BIT laisse de côté plusieurs catégories : les travailleurs découragés qui ne cherchent plus d’emploi, les personnes sous-employées ou en situation de précarité, celles engagées dans l’informel sans réelle sécurité ni revenu stable.
Des indicateurs complémentaires, comme le taux de sous-emploi ou d’emploi vulnérable, sont nécessaires pour mieux cerner les difficultés du marché de l’emploi malien.
Dans un post sur sa page Facebook, l’économiste malien, Modibo Mao Macalou, ancien conseiller spécial à la présidence de la République du Mali, explique que le standard du Bureau International du Travail (BIT) ne reflète plus la réalité du chômage au Mali.
4. Le ministre a-t-il menti ? Non, mais son propos manque de nuance.
Le ministre s’est appuyé sur les données officielles, ce qui est factuellement correct. Toutefois, en ne précisant pas les limites de ces chiffres, il contribue à une perception trompeuse de la situation. Une information exacte, sans le contexte, peut induire en erreur.
5. Le Mali est-il seul dans cette situation ? Non.
Plusieurs pays africains font face aux mêmes défis et développent des indicateurs plus complets :
- En Afrique du Sud, par exemple, le taux de chômage élargi inclut les personnes découragées.
- Le Maroc publie des données sur le sous-emploi et l’emploi informel via le Haut-Commissariat au Plan
- Le Sénégal produit aussi un taux de chômage élargi via l’ANSD.
Le Mali pourrait s’en inspirer, mais cela requiert une volonté politique forte et des moyens statistiques renforcés.
Conclusion
Les critiques adressées au chiffre officiel sont justifiées. Le chiffre annoncé par le ministre reflète une définition étroite du chômage, inadaptée à la réalité socio-économique malienne. Si le ministre ne ment pas, sa déclaration, en omettant les nuances essentielles, laisse une impression biaisée. Pour mieux rendre compte des défis de l’emploi au Mali, une approche plus large et contextualisée s’impose.
Moussa Ahmar MAIGA