Mali : les réseaux sociaux, entre tremplin féministe et arme de désinformation sexiste

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Alors qu’ils ont permis une nouvelle forme de mobilisation pour les droits des femmes, les réseaux sociaux au Mali deviennent aussi le terrain d’un combat plus sombre : celui contre une désinformation sexiste croissante. Attaques ciblées, rumeurs virales et discours haineux s’y déploient avec une facilité déconcertante, sapant les progrès vers l’égalité des genres et menaçant la santé mentale des femmes engagées. Face à ce fléau, des initiatives émergent, mais le chemin vers un espace numérique plus sûr reste semé d’embûches.

Au Mali, les réseaux sociaux sont devenus des outils incontournables de mobilisation citoyenne. Pour les mouvements féministes, ils offrent un espace d’expression libre, une visibilité inédite, et un moyen d’échanger, de sensibiliser et d’organiser l’action. Pourtant, cet espace numérique, en apparence ouvert, se révèle aussi être un terrain miné, où la désinformation sexiste prolifère à grande vitesse.

Des accusations infondées contre des militantes féministes aux rumeurs sur les voies d’accession aux responsabilités, les formes de désinformation sont variées, insidieuses et souvent virulentes. En 2023, Adam Dicko, directrice exécutive de l’AJCAD, a de nouveau été la cible d’une campagne de désinformation sur Facebook. Ce n’était pas un fait isolé, elle cette jeune militante est régulièrement visée par des attaques coordonnées, témoignant d’un acharnement qui va bien au-delà du simple désaccord idéologique. Chaque offensive déclenche une vague de discours haineux en ligne, visant à discréditer sa personne autant que son engagement.

Une journaliste malienne a elle aussi vu sa réputation ternie après la diffusion d’une rumeur sur WhatsApp, l’accusant – sans la moindre preuve – d’avoir bénéficié de promotions obtenues par des moyens illicites. Il a fallu une mobilisation publique et des interventions professionnelles pour que le mensonge soit démenti, mais le mal était déjà fait.

« Pratiquement tout le monde se prétend journaliste sur les réseaux. L’absence de filtre permet à n’importe qui de diffuser des informations sans vérification, ce qui fragilise notre profession et nuit à la démocratie », dénonce Mariam Boubacar Maïga, journaliste d’investigation. Ce manque de régulation expose davantage les femmes, souvent perçues comme des cibles légitimes dès qu’elles s’expriment ou occupent des espaces publics.

Ce phénomène est amplifié par les logiques algorithmiques des plateformes comme Facebook, TikTok ou WhatsApp. Celles-ci privilégient les contenus sensationnalistes, clivants, et souvent faux, qui suscitent davantage d’engagements, au détriment des informations rigoureusement vérifiées. Les contenus sexistes, illustrés par des vidéos, des montages ou des messages vocaux, s’y propagent comme une traînée de poudre.

« Il suffit qu’une jeune fille soit perçue comme sortant des normes traditionnelles pour devenir la cible d’un lynchage virtuel, que l’information soit vérifiée ou non », alerte Fatoumata Naba Samaké, communicante et militante féministe. Ce harcèlement numérique se double souvent d’un mépris de classe ou d’âge, renforçant les vulnérabilités.

Les conséquences sont graves, certaines femmes abandonnent leurs études, fuient leur domicile ou sombrent dans des troubles psychologiques. La peur d’être exposée et humiliée publiquement engendre une autocensure qui fragilise la participation féminine à la vie publique et démocratique. « Les fausses informations sexistes ne sont pas anodines. Elles nourrissent un climat de peur et d’effacement. Il est urgent de renforcer la protection des femmes dans l’espace numérique », prévient Aissata Amadou Bocoum, femme leader et membre du Conseil national de la transition.

Face à cette offensive numérique, des initiatives locales tentent de reprendre le contrôle. Des collectifs comme La Femme en Moi, Benbere ou Doniblog mènent des campagnes numériques pour contrer la désinformation, en diffusant des récits positifs, vérifiés et contextualisés. Des programmes d’éducation aux médias sont également lancés, visant à renforcer l’esprit critique, notamment chez les jeunes et les femmes.

Les spécialistes plaident pour une éducation numérique dès le plus jeune âge, une meilleure capacité de détection des fausses nouvelles, et une législation renforcée pour responsabiliser les plateformes. La valorisation de figures féminines inspirantes, bienveillantes et visibles dans l’espace public est aussi une réponse nécessaire pour briser les stéréotypes.

Si les réseaux sociaux peuvent être des vecteurs de haine, ils demeurent aussi des outils de transformation. Mais pour qu’ils deviennent des lieux de progrès, il faut une mobilisation collective, transversale, et durable. Les journalistes, activistes, chercheurs, institutions et citoyens doivent unir leurs forces. Car lutter contre la désinformation sexiste, c’est aussi défendre la démocratie et l’égalité.

Anta Maïga

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