Djelika Guindo : « Le sport féminin au Mali mérite mieux que l’indifférence »

Journaliste au sein du groupe Renouveau et ardente défenseure du sport féminin, Djelika Guindo dresse un état des lieux sans concession. Malgré les performances notables de certaines athlètes sur la scène africaine, le sport féminin malien reste en marge de la reconnaissance médiatique et institutionnelle. Entre pesanteurs culturelles, stéréotypes enracinés et manque de financements, elle plaide pour une mobilisation collective en faveur de ces championnes trop souvent ignorées.
« Actuellement, le sport féminin ne bénéficie pas d’une visibilité suffisante dans le paysage médiatique malien. » C’est le constat sans appel de Djelika Guindo, figure engagée pour la promotion des athlètes féminines au Mali.
Dans cet entretien exclusif, elle analyse les causes de cette invisibilité et propose des solutions concrètes pour inverser la tendance.
Quel est votre regard sur la place du sport féminin dans les médias maliens aujourd’hui ?
Je pense que le sport féminin reste largement sous-représenté dans les médias maliens. Bien que quelques progrès soient observables, l’amélioration demeure timide. Traditionnellement, la couverture médiatique se concentrait uniquement sur les phases finales des compétitions. On se souvient par exemple de l’engouement autour de la finale de l’AfroBasket 2007, marquée par la victoire du Mali, ou encore de la belle performance des Aiglonnes lors de la CAN 2018 à Accra.
Cependant, ces moments restent des exceptions. La couverture du sport féminin est encore très marginale. Sans exiger une égalité totale avec le sport masculin – ce qui serait irréaliste dans l’immédiat – nous souhaitons simplement une visibilité plus régulière et équitable. Cinq minutes par émission ne suffisent pas pour valoriser le parcours et les performances de nos sportives.
Quels sont, selon vous, les principaux obstacles à cette faible visibilité ?
D’abord, la perception sociétale joue un rôle majeur. Le sport féminin est encore perçu comme secondaire, voire inapproprié, ce qui nuit à sa reconnaissance et à son développement. Ensuite, certains comportements ou styles adoptés par des sportives peuvent heurter une vision traditionnelle de la féminité, ce qui freine l’acceptation par certains décideurs ou sponsors.
Ces préjugés alimentent le désintérêt des investisseurs, qui hésitent à financer une discipline perçue comme instable ou marginale. Pourtant, de nombreuses athlètes maliennes brillent à l’international, comme Agécha Diarra au PSG , ou encore nos championnes de Taekwondo et de Basketball, qui soutiennent même économiquement leurs familles.
J’en appelle aux sponsors et aux opérateurs économiques à miser sur ce potentiel immense, encore trop souvent négligé.
Quels sont les sports féminins les plus pratiqués et les plus médiatisés au Mali ?
Le basketball féminin domine nettement, fort de ses nombreux titres dans toutes les catégories (U17, U18, seniors). C’est un sport qui attire les jeunes filles et bénéficie d’une certaine reconnaissance, bien qu’encore insuffisante. Le football suit de près, avec une popularité croissante mais toujours à la traîne par rapport au sport masculin. Les arts martiaux, comme le taekwondo ou le karaté, connaissent une forte implantation dans les quartiers grâce à des clubs dynamiques et une participation féminine significative. Le handball gagne aussi du terrain, tandis que l’athlétisme, autrefois florissant, connaît un recul préoccupant. Des disciplines individuelles comme la natation ou le taekwondo sont pratiquées, mais de manière encore marginale.
Quelles mesures concrètes permettraient d’améliorer la situation ?
Il faut d’abord sensibiliser l’opinion publique à la valeur du sport féminin, tant sur le plan éducatif que sociétal. Il est essentiel de faire comprendre que l’on peut être athlète tout en restant pleinement femme.
Les parents doivent être convaincus des bienfaits du sport pour leurs filles, et les entreprises incitées à soutenir le sport féminin comme elles le font pour les disciplines masculines.
Les fédérations sportives, quant à elles, doivent collaborer davantage avec les journalistes, qui sont souvent les premiers relais de visibilité. Cela suppose un meilleur accès à l’information, l’inclusion des journalistes lors des compétitions nationales et internationales, et un soutien actif à leur travail.
Des figures emblématiques comme Sangaré Aminata Kiita (athlétisme et golf), Genebou Sanogo (basket), ou encore Aminata Damélé, Aminata Traoré (taekwondo), Genebou Dante (athlétisme), Mariam Katiko (handball) et Aïssata B. Maïga méritent une reconnaissance accrue. N’oublions pas non plus les arbitres internationales telles que Fanta Touré et Fanta Ikoné, qui évoluent même dans des compétitions masculines de haut niveau.
L’État a également un rôle crucial à jouer en créant des structures de promotion du sport féminin. Si nous ne visons pas encore le niveau de pays comme les États-Unis ou le Kenya, nous pouvons réduire l’écart et permettre à nos athlètes de vivre dignement de leur passion.
Propos recueillis par Youssoufa Mahamadou