Mali : 2025, année de la culture, mais quelle culture ?

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Chaque mois, des chercheur·ses spécialistes du Sahel livrent leurs réflexions, leurs éclairages, leurs amusements, leurs colères ou leurs opinions sur la région. Aujourd’hui, le point de vue de Bokar Sangaré, doctorant en sciences politiques à l’Université libre de Bruxelles.

Cet article de Bokar Sangaré a été initialement publié dans le quotidien Libération.

Le 18 décembre s’ouvrira à Tombouctou l’édition 2025 de la Biennale artistique et culturelle. Un événement attendu au Mali, qui s’inscrit dans la décision des autorités de placer l’année 2025 sous le signe de la culture.

Tombouctou, la cité des 333 saints, sera l’épicentre, pendant plus d’une semaine, de cette manifestation à laquelle sont invités artistes, écrivains et chercheurs – qui pensent les sociétés sahéliennes confrontées à des bouleversements politiques et sécuritaires inédits.

Depuis 2012, des observateurs n’ont pas manqué de pointer que les crises que traverse le Mali sont aussi culturelles. Les plus optimistes clament que cet épisode d’instabilité devrait être le temps de la renaissance à travers la culture – comme l’illustre le thème volontariste de la biennale : la Culture, pilier pour bâtir un Mali nouveau.

Ce projet de construction du «Mali nouveau» (Mali Kura, en bamanakan) est une constante de l’histoire politique contemporaine du pays. Il fait écho à celui imaginé par les dirigeants maliens à l’aube de l’indépendance de mettre la culture au service des efforts de construction nationale – qui a donné naissance à la Semaine de la jeunesse, devenue la Biennale artistique et culturelle sous le régime militaire de Moussa Traoré en 1970.

Comme l’a relevé l’anthropologue musical Ryan T. Skinner, le Mali s’inspirait à l’époque du «mouvement pour l’authenticité» impulsé en Guinée par Sékou Touré en mettant en place des formations artistiques encouragées à débarrasser leurs répertoires de toute influence étrangère.

Dans la continuité du régime socialiste de Modibo Keita

Aujourd’hui, la société malienne, comme toutes les autres, et peut-être même davantage que les autres, est en évolution. Elle devrait être pensée à travers les mouvements de la culture contemporaine, mouvante et multiple, et non pas sans cesse ramenée au discours figé sur le retour aux «valeurs» anciennes et traditionnelles.

Le projet actuel du gouvernement malien d’une révolution anthropologique à travers la création d’un «homme nouveau», d’un «nouveau Malien» (Maliden Kura) semble s’inscrire dans la continuité de l’ambition du régime socialiste de Modibo Keita – en imposant par le haut les valeurs qui doivent structurer les individus. Il prend appui sur une rhétorique passéiste, la promesse répétée de restaurer la «dignité» des Maliens, qui apparaît comme un trait paradigmatique de la révolution conservatrice à l’œuvre au Sahel.

A la fin de l’année dernière, avec des acteurs de la scène culturelle comme Chab Touré, Lamine Diarra et d’autres collègues, nous avons participé à des rencontres et à des échanges dans un quartier de Bamako. Dans le cadre de ce festival baptisé les Praticables (l’édition 2025 est prévue pour décembre), les artistes seront invités à puiser la matière de leurs créations dans les préoccupations exprimées par les habitants de la capitale malienne sur la structuration de l’espace public et la participation politique dans la cité.

Il en ressort que des changements profonds affectent les populations. Celles-ci sont confrontées à la fragilisation des liens familiaux illustrée par l’absence des pères au sein des foyers. Ce vide remet naturellement en question le patriarcat, élargit le rôle des mères et laisse la jeunesse en déshérence.

Autre sujet d’inquiétude soulevé par le public : l’emprise des commerces sur les zones résidentielles, qui s’accroît au point de nourrir la crainte sur le long terme d’une gentrification qui verra leur quartier se transformer en centre commercial. L’expression artistique, dans la lignée du koteba [forme de théâtre traditionnel, ndlr], devrait servir de reflet à ces préoccupations actuelles.

La culture reste le parent pauvre de l’Etat malien

Mais les dirigeants successifs du Mali s’en méfient – ou s’en moquent. Les maigres moyens alloués à la culture en témoignent. Quelques jours après l’annonce présidentielle de la consécration de 2025 comme année de la culture, des états généraux ont dressé un tableau peu reluisant des dysfonctionnements du secteur – déjà bien connus des acteurs.

En déficit d’infrastructures et d’industries artistiques, la culture demeure le parent pauvre de l’Etat malien − elle reçoit moins de 2 % du budget national − alors même qu’elle est l’une des plus grandes richesses du pays.

Au-delà de la célébration d’une manifestation culturelle comme la biennale, le combat doit avoir pour ambition de donner plus de poids à la culture et de la sortir des velléités d’instrumentalisation à des fins politiques et de la simple apologie des valeurs nationales.

Pour objectif mettre les pratiques artistiques au service de la construction d’un univers symbolique commun – propice à la paix et à la cohésion sociale. Le combat, enfin, devrait donner accès aux Maliens à la culture contemporaine. De quoi mettre le pays au cœur des enjeux internationaux de la création.

Bokar Sangaré


Note de la rédaction : cet article de Bokar Sangaré a été initialement publié dans le quotidien Libération.

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