La désinformation genrée au Tchad : une menace silencieuse qui fragilise les femmes

Au Tchad, les fausses informations ciblant les femmes se propagent à une vitesse alarmante, notamment sur les réseaux sociaux et dans les médias. Entre rumeurs, stéréotypes et campagnes de diffamation, cette désinformation genrée constitue un véritable frein à l’émancipation des femmes et à leur engagement citoyen. Pourtant, malgré son ampleur, peu de mesures concrètes sont mises en place pour contrer ce phénomène.
Dans un pays où l’accès à l’éducation et aux technologies reste inégal entre les sexes, les femmes tchadiennes sont particulièrement vulnérables à la désinformation. Sur Facebook et WhatsApp, de nombreuses rumeurs circulent à leur sujet : fausses accusations d’adultère, théories complotistes sur l’infertilité supposée des militantes féministes, ou encore fake news relayant des prétendus dangers de l’éducation des filles.
« On m’a accusée d’avoir abandonné mon mari et mes enfants pour me consacrer à la politique, alors que ce n’était qu’un mensonge répandu pour me discréditer », témoigne Khadidja, une militante des droits des femmes à N’Djaména.
Ce type de désinformation ne relève pas du hasard. En effet, il vise un double objectif : dissuader les femmes de s’impliquer dans la vie publique et perpétuer les stéréotypes de genre qui les cantonnent à un rôle subalterne dans la société.
Un phénomène amplifié par les réseaux sociaux
Avec l’essor du numérique, le phénomène prend une ampleur sans précédent. En 2024, le Tchad comptait 4,18 millions d’internautes et 973 000 utilisateurs actifs sur les réseaux sociaux. Ces plateformes sont devenues le terrain privilégié de la désinformation, où les fake news circulent souvent plus rapidement que les vérités avérées.
« En 2024, nous avons identifié des centaines de fake news visant des femmes influentes, notamment des journalistes, des entrepreneures et des militantes. Les algorithmes des réseaux sociaux, en mettant en avant les contenus émotionnels, contribuent à entretenir les discours de haine, qui peuvent même dégénérer en conflits », explique Denis NGARDIGUINA, membre de la plateforme de fact-checking Sao Check.
En parallèle, les nouvelles technologies offrent de nouveaux outils de manipulation. Les deepfakes, ces vidéos truquées générées par intelligence artificielle, et les montages photo sont de plus en plus utilisés pour salir la réputation des femmes engagées, ajoutant une dimension encore plus pernicieuse au phénomène.
Des conséquences graves sur la vie des victimes
Les répercussions de cette désinformation sont dramatiques. Cyberharcèlement, marginalisation sociale, voire violences physiques : les conséquences peuvent aller bien au-delà de simples rumeurs virtuelles.
« J’ai reçu des menaces de mort après la diffusion d’une fausse vidéo me présentant comme une femme immorale », confie Mariam, une jeune entrepreneure de Abéché.
Dans certains cas, la désinformation contribue à renforcer des pratiques néfastes, comme les mariages précoces ou la stigmatisation des femmes divorcées, limitant ainsi davantage leurs opportunités d’épanouissement personnel et professionnel.
Une riposte encore timide mais essentielle
Face à cette menace croissante, certaines initiatives locales émergent. Des organisations de la société civile, des journalistes, des blogueurs et des activistes s’unissent pour sensibiliser la population aux dangers des fake news.
Le projet de jumelage entre les initiatives francophones de lutte contre les désordres de l’information, porté par Sao Check, La Voix de Mopti et La Femme en Moi, en est une parfaite illustration. Son objectif est clair : former des femmes journalistes et membres d’organisations féminines au fact-checking et à la production de contenus vérifiés. Ainsi, plus de 200 femmes seront initiées aux techniques de vérification des faits pour devenir des « Mamans fact-checkeuses », véritables gardiennes de l’information.
« Il est urgent que les femmes prennent le contrôle de la narration et dénoncent la désinformation qui les cible », affirme SEÏBANA DJIHIDA,journaliste et blogueuse.
Un combat collectif pour une société plus équitable
La lutte contre la désinformation genrée au Tchad ne peut être gagnée sans une mobilisation massive des médias, des autorités et de la société civile. Sensibiliser, éduquer et outiller les femmes pour qu’elles deviennent actrices de la vérification de l’information est un enjeu crucial pour l’égalité des sexes et le renforcement de la démocratie.
« Tant que les fausses nouvelles continueront d’alimenter les inégalités, nous serons là pour les déconstruire », conclut fièrement NODJIWAMEEM DOUMDANEM, une journaliste engagée dans la lutte contre la désinformation.
BIENVENU LARISSA NGAKOUTOU