[Les Vérificateurs] La Cedeao a-t-elle imposé le visa aux ressortissants du Mali, du Burkina et du Niger ?
Le dimanche 7 juillet 2024, les chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ont tenu leur 65e session ordinaire à Abuja, au Nigeria, dans un contexte de tension avec les pays membres de l’Alliance des États du Sahel (AES), ayant annoncé en janvier dernier leur retrait de l’organisation communautaire ouest-africaine. Alors que le sommet était en cours, un extrait du discours d’ouverture de l’Ivoirien Dr. Omar Alieu Touray, président de la Commission de la Cedeao, a largement été relayé en texte et en images sur les réseaux sociaux pour faire croire à l’imposition du visa aux ressortissants des pays de l’AES (du Burkina Faso, du Mali et du Niger) suite à leur décision de se retirer de l’espace communautaire. Il s’agit d’une éventualité liée aux conséquences du retrait, pouvant s’appliquer si leur départ venait à être juridiquement effectif en vertu de l’article 91 du Traité révisé de la Cédéao. Explications.
Le samedi 6 juillet, les chefs d’État de l’Alliance des États du Sahel ont tenu à Niamey, au Niger, leur premier sommet à l’issue duquel la création de la Confédération de l’AES a été entérinée.
Le lendemain, à Abuja, au Nigeria, les dirigeants des pays encore membres de la Cédéao se sont retrouvés dans le cadre de la soixante-cinquième session ordinaire de l’organisation. Dans son discours d’ouverture, le président de la Commission de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest énumère une série de conséquences éventuelles de la sortie de l’organisation par le Mali, le Burkina et le Niger.
Dans la foulée sur les réseaux sociaux, le dimanche 7 juillet, plusieurs publications ont faussement annoncé en boucle que la Cédéao avait décidé d’imposer un visa aux ressortissants du Mali, du Burkina et du Niger. « La Cédéao impose désormais des #visas aux citoyens du #Mali, du #Burkina Faso et du #Niger, mais ceux-ci pourront toujours se déplacer librement au sein des pays membres de l’Uemoa (Bénin, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Sénégal et Togo, sic) grâce au traité de 1994 qui garantit la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux. Cette exemption de visa est limitée à l’espace Uemoa (Union économique et monétaire ouest-africaine, NDLR) et ne s’applique pas à l’ensemble de la Cédéao. », a annoncé dans une publication « Histoire d’Afrique », un compte X (ex-Twitter) créé en novembre 2020 et suivi par plus de 214.000 abonnés
Cette disposition de l’Uemoa sus-citée est relative à « l’institution du marché commun » dans l’espace. Elle est contenue dans son Traité modifié (en vigueur) dans son article 76 (point d, p.25). « En vue de l’institution du marché commun prévu à l’article 4 paragraphe c) du présent Traité, l’Union poursuit la réalisation progressive des objectifs suivants : (…) d) la mise en oeuvre des principes de liberté de circulation des personnes, d’établissement et de prestations de services ainsi que de celui de liberté de mouvements des capitaux requis pour le développement du marché financier régional », dispose ce document compulsé sur le site internet de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (cf. capture d’écran).
Concernant cette supposée imposition du visa, qui est selon Larousse un « cachet authentique, valant autorisation de séjour, apposé sur un passeport par les services diplomatiques (ambassade, consulat ou représentation) des pays dans lesquels désire se rendre le demandeur », l’équipe de Vérificateurs de Tama Média a repéré des dizaines de publications (1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, etc.), notamment sur X, Facebook et TikTok. Leurs auteurs attribuent, pour la plupart, cette annonce trompeuse au chef de la Commission de la Cédéao, avec en illustration un extrait vidéo de son intervention lors de la traditionnelle cérémonie d’ouverture. « Suite au retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) en janvier 2024, les ressortissants de ces trois pays devront désormais obtenir un visa pour voyager dans les autres États membres de la Cédéao. Cette nouvelle disposition a été annoncée par le président de la Commission de la Cédéao », rapporte dans un texte posté sur X le compte certifié non officiel « AES INFO ».
Sa publication initiale a certes été retirée, mais la capture d’écran circule toujours sur WhatsApp. Il est revenu en début de soirée (du dimanche) sur ce post, avec la mention d’erreur corrigée. « Erratum : Pas de visa obligatoire pour les ressortissants du Mali, du Burkina et du Niger voyageant dans certains pays de la Cédéao (…) », précise enfin cet influent compte suivi par plus 53.000 abonnés et actif depuis septembre 2023.
« Il est surtout revenu en français sur les probables conséquences et impacts »
Nous avons regardé le discours d’ouverture du président de la Commission de la Cédéao, prononcé en français, lors de cette rencontre. La partie de ses propos sur ce « risque de désintégration », auquel l’organisation est confrontée, dure six minutes. Dans sa déclaration, Dr. Omar Alieu Touray a tenu « un plaidoyer en faveur de la consolidation de l’intégration régionale. Il est surtout revenu en français sur les probables conséquences et impacts que le retrait des (trois) 3 pays (du Burkina Faso, du Mali et du Niger) pourraient avoir sur la vie des populations de la sous-région.», peut-on lire en légende de l’extrait vidéo posté sur la page Facebook « Ecowas – Cedeao ».
En effet, après avoir rappelé les acquis de l’organisation de l’espace communautaire siégée à Abuja, le diplomate ivoirien a énuméré les potentielles conséquences liées au retrait définitif de ces trois pays, notamment sur les plans sécuritaire, diplomatique, économique et financier, mais aussi institutionnel.
« (…) Ce retrait affectera également les conditions de voyage et d’immigration des citoyens de ces trois pays, car ils auront désormais à mener des démarches en vue de l’obtention d’un visa avant de voyager dans la sous-région. Les citoyens de ces pays pourraient ne plus être en mesure de résider ou créer des entreprises librement dans le cadre des facilités mises en place par la Cédéao. Ils pourraient être soumis à diverses lois nationales. Ainsi, ces trois pays vont devoir cesser d’utiliser le passeport de la Cédéao, la carte d’identité nationale biométrique de la Cédéao et l’assurance automobile carte brune à l’échelle régionale. (…) », a précisément déclaré le président de la Commission de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest.
Il s’agissait donc d’une mise en garde et une explication des conséquences éventuelles de la sortie de l’espace communautaire pour les 3 pays de l’AES. La disposition n’est nullement encore appliquée.
En vertu des textes réglementaires de la Cédéao, elle ne pourrait l’être que si le retrait venait à être effectif au bout d’un an après la demande formulée. C’est l’article 91 du Traité révisé de la Cédéao qui donne la possibilité à tout État membre de quitter l’espace communautaire quand il le souhaite. Si la demande est formulée, à compter de sa date de réception par la Commission, il faut attendre un an pour que le retrait soit effectif. Néanmoins, selon la même disposition juridique, cet État peut revenir sur sa décision durant cette période de douze mois.
« Le texte est assez flexible pour permettre la négociation »
« Le texte est assez flexible pour permettre la négociation entre les dirigeants de la Cédéao d’une part, le Mali, le Burkina et le Niger d’autre part, en vue de trouver un consensus », analyse pour Tama Média Ibrahima Kane, chargé des questions relatives aux institutions régionales et continentales à Open society initiative for West Africa (Osiwa), dans un entretien publié le 3 février dernier.
C’est dans cette perspective que le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye, élu le 24 mars dernier, a été désigné par ses pairs « comme facilitateur de la Cédéao dans les discussions de la Communauté avec l’AES (Burkina Faso, Mali, Niger), en collaboration avec » son homologue togolais Faure Gnassingbé.
Dans le communiqué final de sa 65e session ordinaire, la Conférence des chefs d’État et de gouvernement dit exprimer « sa déception face au manque de progrès dans les interactions avec les autorités du Burkina Faso, du Mali et du Niger et », par conséquent, « instruit le président de la Commission de faciliter une approche plus vigoureuse conformément aux décisions du sommet extraordinaire du 24 février 2024. »
En outre, elle a demandé à cette instance « d’élaborer un plan d’urgence prospectif à son intention pour faire face à toutes les éventualités dans les relations avec les pays de l’AES, en tenant compte des exigences de l’article 91 du Traité révisé de la Cédéao de 1993. »
De leur côté, les trois régimes dirigés par des militaires continuent de tenir la Cédéao responsable de « l’effritement des valeurs de fraternité, de solidarité et de coopération entre les États et les peuples concernés », tout en rappelant les sanctions infligées à l’encontre de leurs pays à la suite de leurs coups d’État respectifs.
Lors du sommet de l’AES organisé à Niamey le 6 juillet, le général Abdourahmane Tiani du Niger, le colonel Assimi Goïta du Mali et le capitaine Ibrahim Traoré du Burkina Faso « ont décidé de franchir une étape supplémentaire vers une intégration plus poussée entre les pays membres » de l’entente tripartite créée le 16 septembre 2023. Ainsi, « ils ont adopté le traité instituant une Confédération entre le Burkina Faso, la République du Mali et la République du Niger dénommée Confédération “Alliance des Etats du Sahel”, en abrégé Confédération AES », indique le communiqué final du sommet tenu à Niamey en 2024.
Ce qu’il faut retenir
En conclusion, il faut retenir que, dans sa déclaration faite à l’ouverture de cette 65e session ordinaire de la Cédéao, Dr. Omar Touray a certes énuméré les potentielles conséquences de ce retrait pour les ressortissants des pays concernés (Burkina Faso, Mali et Niger), si cela venait à être juridiquement effectif au bout d’un an à compter de la date de réception de la demande formulée. Mais, au moment de la rédaction de cet article, aucune disposition n’a été adoptée par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest leur imposant notamment le visa pour voyager dans la sous-région.
LA RÉDACTION TAMA MÉDIA
Cette production a été réalisée avec le soutien de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) dans le cadre du projet « Jumelage entre initiatives francophones de lutte contre la désinformation ».